Issu de l’espace religieux subsaharien avec les rites et rituels millénaires; le Voodoo (Vaudou) constitue de toujours la religion pratiquée par les habitants du golfe du Bénin notamment le Nigéria; le Bénin actuel; le Togo; le Ghana…. Ce terme voodoo englobe l’ensemble de divinités telles que Sakpata; Egoun; Oro; Hébiesso; Dan etc…avec un seul et même dieu; Mawu ou Mawun (chez les fons au Bénin). Le Voodoo désigne donc l’ensemble des divinités ou des forces invisibles dont les Hommes essaient de se concilier la puissance ou la bienveillance. Il est l’affirmation d’un monde surnaturel; mais aussi l’ensemble des procédures permettant d’enter en relation avec celui-ci. Le Voodoo intimement lié entre le culturel et le cultuel est devenu indissociable de la traite négrière et c’est répandu par conséquent en Amérique, au Brésil et dans les îles Caraïbes.
Je m’intéresse en tant qu’artiste plasticien à ce que représente le vaudou aujourd’hui, dans chacune de ses zones d’influence, avec ses spécificités locales. Pour certains il est la religion endogène de l’africain de l’ouest en général et du béninois en particulier. Pour d’autres il représente un passé douteux, des valeurs archaïques, décadentes et stigmatisantes. Pour les descendants d’esclaves, il est une mémoire des origines perdues, ce qui a survécu à la porte du non retour de Ouidah.
En incorporant mes photos de terrain dans des fragments de murs Togolais et Béninois, je partage la culture vodun comme je l’ai ressentie, comme une religion pour initiés, un lien social populaire et festif, une résistance à un processus d’appropriation de l’Afrique : les corps avec l’esclavage, les terres avec la colonisation, les âmes avec l’évangélisation.
Au delà des rites, de l’histoire, des tabous, mes photos témoignent de la bienveillance des prêtres et adeptes dont j’ai croisé la route. Le vodun a beau être ce que l’on ne voit pas et qui n’apparait pas, il gagne à être connu.
En 1454, le pape Grégoire a publié une bulle légitimant auprès des rois catholiques l’esclavage perpétuel des païens, des sarrasins et des étrangers. En 1685, le code noir préparé par Colbert est une ordonnance qui légitime l’esclavage dans les îles alors qu’il est interdit en France métropolitaine depuis 1315.
En 1885, la Convention de Berlin, acte de division de l’Afrique entre les pays colonisateurs, légitime un tracé des frontières rectiligne et illogique. En 2020, beaucoup, à commencer par Hollywood, ignorent que certains pharaons étaient noirs….noirs !
La magie blanche est utilisée pour faire le bien, elle convoque des forces occultes pour soigner et conseiller. Elle comporte en général des injonctions comportementales et sacrificielles. Le principe de beaucoup de rites religieux est de donner à son dieu ce qu’il y a de meilleur, la vie, donc le sang. A ce titre, la magie blanche est pointée du doigt par les partisans de la cause animale qui s’insurgent contre les sacrifices rituels des coqs, chèvres, et autres animaux.
Un courant moderniste chez les adeptes de la magie blanche demande le passage du sacrifice par le sang et la viande des animaux aux oblations avec des objets symboliques.
La magie noire est l’ensemble des procédures magiques utilisées à des fins maléfiques ou égoïstes. Crée par des pratiquants pour se venger des esclavagistes, elle est célèbre pour ses sorts, poupées piquées d’aiguilles, zombies, potions….surtout en Haiti. Au Bénin, vous n’entendrez à priori pas parler d’un sort jeté entre africains, et le plus remarquable dans cette magie est sa puissance de diabolisation, sa façon d’accoler le mot noir à des pratiques terrifiantes et immorales.
La magie rouge est un sous-ensemble de la magie blanche pour tout ce qui concerne la sexualité, l’amour, l’affection et la séduction. Elle n’est pas censée contraindre, et bien qu’elle soit la plus jeune des magies, elle existait déjà sous le nom de Magie de Cléopâtre. Le culte Vodun africain est caractérisé par l’importance de la lignée, un nouveau-né étant la réincarnation d’un ancêtre, ce qui conduit … à lutter contre l’adultère au féminin! Cette cause est partagée par le clergé chrétien, on peut entendre à Cotonou un prêtre déclarer dans un mariage que si la femme doit être fidèle, elle doit aussi être compréhensive car l’homme est « multiprise » et doit de temps en temps se brancher ailleurs.
Fétiche sur lequel sont versés sang et plumes, petit monticule en forme d’amas présent dans la plupart des maisons des adeptes. Legba est une divinité du panthéon vodun très présente aux carrefours, places, entrées de village…Il résume par le nombre de caractères qui peuvent lui être accolés la ressemblance entre les caractéristiques psychologiques des fétiches et celles des hommes : vodun du désordre, de la colère, de la méchanceté, de l’intelligence, de la ruse, gardien de la propriété, messager, justicier….
Cet adepte aux pieds nus a effectué (au moins) l’aller et retour entre Ouidah et la porte du non retour, 8 km, sous un soleil de plomb, avec un chaudron fumant sur la tête, sans effort apparent. Si personne n’a pu m’expliquer son rite, personne n’en s’est montré surpris. C’est toute la personnalisation des rites qui s’exprimait dans cette apparition.
On ressort couvert de honte d’une visite à la Maison des esclaves et du passage de la porte du non retour, ainsi dénommé car les esclaves savaient en embarquant sur le bateau qu’ils ne reviendraient jamais. Beaucoup de descendants d’esclaves font le pèlerinage sur une des portes, à la recherche de la terre de départ de leurs ancêtres. Les tests ADN n’étant pas assez précis, leur quête reste le plus souvent vaine. La religion vaudou représente le lien qui traverse cette porte, illustré par une des étymologie du mot vodun: Respire, et bois de l’eau
Le 10 janvier à lieu à Ouidah, au Bénin, la grande fête vodun. Devant la porte du non retour une tribune officielle garnie de dignitaires assiste à une mise en scène de danses et rites. Les touristes et les médias sont en nombre, il faut payer pour prendre en photo un fétiche, cela gâche un peu la fête même si la plupart des participant.e.s semblent surmonter ce succès de curiosité.
15 hommes ou 21 femmes était le prix en esclaves pour une verroterie. Lors de la fête nationale vodun de nombreuses références à l’esclavage sont ritualisées par les adeptes, à commencer par le lieu de la cérémonie, sous la porte du non retour à Ouidah.
C’est le son des tambours qui est un déclencheur de la transe. En pleine fête, un homme qui dansait a soudain perdu le contrôle, et le cercle des touristes s’est très vite élargit! Le cri « vodun » à retentit, deux costauds ont surgit de nulle part et l’ont immédiatement plaqué au sol, et tout est reparti comme si de rien n’était. Quand j’ai relaté à mon guide cet évènement en lui disant que cet homme avait l’air possédé, il m’a répondu qu’il était enfin libre…
Le mouvement typique de la danse vodun ressemble souvent à une sorte de squat auquel est associé comme un battement d’aile. A priori, ce n’est pas très gracieux, mais certain.e.s arrivent à transmuter le plomb en or!
Ce fragment de discours illustre le décalage symbolique entre colonisateurs plus ou moins repentis et ex-colonisés. Ce soldat de bois (musée d’histoire, ouidah) sur fond de mur rouge rappelle que certaines armées ne sont pas la pour protéger leurs peuples mais pour les asservir. Et que les clergés sont souvent plus enclins à dénoncer des immoralités plutôt que des crimes contre l’humanité…
Yovo,yovo, bonsoir, ça va bien?, merci! était la phrase que les enfants récitaient au passage des missionnaires afin d’obtenir des bonbons. Bonsoir au lieu de bonjour car plus facile à prononcer. C’est en 2020 encore une phrase qu’un photographe Yovo (le blanc) entend souvent au cours de la journée.
Religion de réincarnation contre religion de résurrection, magie individuelle et secrète contre culte public et miracles divins, monothéisme contre panthéon, le vodun et la chrétienté n’ont guère en commun que les clous, et ceci explique peut être qu’aucun culte ne vampirise l’autre.
Aujourd’hui l’Afrique de l’ouest est terre de mission pour les évangélistes qui tentent une synthèse en reprenant les codes des fêtes vodun par leurs chants et danses et les codes chrétiens par les sermons moralisateurs. Un retour aux sources pour une religion née en 1901 au Kansas et considérée, à l’origine, comme une religion noire fortement influencée par les rites africains.
Le vodun est aussi un systèmes de lois en phase avec la préservation du territoire : ne pénétrer qu’une fois l’an dans les forêts sacrés, ne pas pécher pendant les périodes de reproduction, apprendre les vertus médicinales des plantes locales…
Les nombreux interdits alimentaires et sociaux qui avaient cours pendant plusieurs mois avant la nouvelle année mettaient toute la population sur un pied d’égalité et désamorçait les tensions.
Dans les maisons des adeptes une ou plusieurs pièces sont réservées aux cultes et choisies selon le rite à observer. C’est en général l’ainé du groupe qui dirige les offices, ce qui n’est pas surprenant quand on connait le respect qui est du aux anciens en Afrique. Quand le ton monte entre deux personnes, la plus âgée a tout le loisir de calmer la plus jeune d’un simple rappel de son statut d’ainé
Les jumeaux sont très importants dans le culte du vaudou, et de nombreuses cérémonies leur sont consacrées : « Les jumeaux ne meurent pas, ils sont allés chercher du bois de chauffage dans la forêt ». Ces êtres génétiquement et morphologiquement identiques sont vénérés dans la tradition africaine et considérés comme une divinité qui est venue vivre parmi les humains.
Les fétiches reçoivent le sang ou les mets d’un sacrifice pour être placés dans de bonnes dispositions face à une requête d’un adepte lors d’une consultation. Plus surprenant est de constater que petit verre d’alcool ou cigarette allumée sont souvent des offrandes de choix pour les fétiches, alors que visiblement peu d’adeptes fument ou boivent. Est-ce la part de vice qui humanise l’au-delà ou le rappel que nous sommes tous des condamnés, avec nos dernières volontés ?
Au Bénin et au Togo le vodun est une religion endogène, et les habitants ne se cachent pas de la partie festive des rites, ouverte à tous. L’appel du vaudou, qui prend des heures, consiste en un tour de piste des prêtres qui agitent une sorte de plumeau blond en scandant une litanie d’appel au rythme des tambours avant de se rasseoir ou de danser. Pour les adeptes ou initiés c’est alors l’occasion de danse et chants, pendant la ronde des prêtres ou en dehors, la liberté est totale. De temps à autre un billet est déposé sur le front d’un prêtre et vite récupéré par un ou une assistante zélé.Personne ne boit ni ne fume, le gin, alcool des rites, est réservé aux dons, il sera utilisé plus tard…quand le rituel sera réservé aux initiés, et le photographe parti!
Le fâ est un art divinatoire qui se réalise à l’aide d’un chapelet à deux branches et seize combinaisons possibles par branche. Son langage symbolique se traduit par des traits simples ou doubles selon que les quatre demi-noix de chaque branche du chapelet retombent ouvertes ou fermées. L’ensembles des traits des deux branches forment la représentation figurative de chaque « Dou », les 16 signes-mères du Fâ. Par ailleurs chaque Dou du Fâ contient 16 vers qui expriment de façon lyrique et poétique une histoire sacrée des peuples yoruba ou adja, ce qui fait au total un corpus conséquent de plus de 4096 vers qui racontent une histoire mythologique, un conte, une chanson, un proverbe, une devinette sur lesquels le devin va se baser pour interpréter l’oracle du Fâ et transmettre la réponse du Fâ à la question qui a motivé la séance. Un bon devin est supposé en avoir mémorisé le plus possible…
Le hounon est en haut de la hiérarchie du clergé Vodun. La légitimité cléricale se transmettant par le sang, c’est d’ailleurs avec une moue de condescendance que les prêtres issus de l’esclavage sont, ou plutôt ne sont pas, reconnus par tous.
Les esclaves étaient capturés à l’intérieur des terres et les membres du clergé vodun n’étaient pas ou très rarement concernés. S’il est acquis que les royautés du bord de mer ont collaboré à la traite négrière, la position du clergé vodun durant cette longue période semble être un peu tabou.
Dans les plantations la pratique vaudou était interdite et la tradition s’est propagée oralement, secrètement, à partir de souvenirs qui ont muté au contact de l’apprentissage obligatoire du catéchisme. Cette situation à crée une sorte de complexe par rapport au culte de départ et la somme de culpabilités croisées ne facilite pas les échanges entre africains de souche et descendants d’esclaves. Je pensais le culte vodun comme un trait d’union, et ce n’est pas aussi simple.
Pendant l’appel du vaudou, le lien social festif tourne à plein régime, la liberté d’action des adeptes est flagrante, certains dansent, chantent, vont jouer du tam tam devant un ou plusieurs prêtres, prennent des photos ou des films avec leurs téléphones..tandis qu’en parallèle les choses sérieuse et secrètes s’organisent, dans un ballet lui parfaitement réglé.